Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'univers de Sébastien Bonmarchand !

L'univers de Sébastien Bonmarchand !

Bienvenue ! En un clic, découvrez mes poèmes, contes, nouvelles, pièces de théâtre, essais littéraires... A vos commentaires !


Comment je suis né à 12 ans.

Publié par Sébastien Bonmarchand sur 24 Janvier 2024, 18:44pm

Catégories : #qui suis-je ?

Comment je suis né à 12 ans.

J'ai l'habitude de dire que j'écris depuis mes douze ans.

En vérité, je ne peux pas dater précisément le moment où « ça » s'est déclenché en moi, je ne peux que me souvenir d'événements particuliers. Je peux à peine les situer dans le temps les uns par rapport aux autres.

 

Le point de départ se situe sans doute dans la maladie. Je me souviens avoir été malade lorsque j'étais en Cinquième. Scolairement, c'était une année très difficile pour moi. J'avais toujours eu de bons résultats dans ma petite école publique de quartier et je m'en étais tiré avec les honneurs en Sixième où – hormis l'Allemand qui était nouveau – il s'était essentiellement agi de révisions des différentes connaissances acquises en primaire. En Cinquième en revanche, dans ce collège privé où j'ai commencé à sentir les failles culturelles que mon milieu d'origine creusait chaque jour un peu plus, il m'a fallu travailler d'arrache-pied pour simplement voir ma moyenne générale être au-dessus de la ligne de flottaison. Cet hiver-là, je travaillais donc beaucoup, me ménageais peu de temps de répit et ce qui devait arriver arriva : je commençai à tousser. La logique m'aurait invité à pousser la porte de mon médecin et j'aurais manqué quelques jours d'école pour me remettre. Seulement, nous étions en pleine semaine d'évaluations et je ne voulais rien manquer. À la fin de la semaine, je finis rincé, épuisé, vidé. Il me fallut une heure pour parcourir à pied la distance entre l'arrêt de bus et la maison de mes parents, au lieu des dix minutes habituelles. Écrasé par la fatigue et la toux qui comprimait toujours plus ma poitrine, le soir venu, je demandai à mes parents de faire venir un médecin qui, décida, lui de m'hospitaliser sur le champ. Je passai le week-end sous intraveineuse et manquai une semaine d'école.

Lorsque je retrouvai le collège dès 7h30, j'avais déjà récupéré les devoirs et les leçons de la semaine passée. Dans mon lit, je n'avais que ça à faire. Les cours reprenaient à 8 heures avec le Français. Un camarade me demanda alors si j'avais eu le temps de faire la rédaction que le professeur nous avait commandé le lundi suivant, premier jour de mon absence. Non. Pas au courant. Ah. Je craignis aussitôt un zéro forfaitaire, tant, en ces temps-là, on se souciait assez peu de la vie des élèves. Copie non rendue ? Zéro. Ça vous fera passer l'envie de ne rien faire. Il me restait donc trente minutes pour éviter la catastrophe ou, tout du moins, sauver l'honneur. À cette époque, si le cours de Français avait été un championnat de football, j'aurais figuré au mieux dans le ventre mou et, les mauvais jours, en position de relégable. Mes chances de créer un exploit étaient donc assez minces, d'autant plus que dans l'exercice délicat de l'expression écrite, je n'avais jamais brillé d'une quelconque manière. Cette année-là, la vedette de la division était Élodie. Chaque rédaction était pour elle l'occasion d'affirmer un peu plus que sa vocation était de devenir écrivain. Le prof se pâmait devant ses textes, alors que son arrogance nous faisait la mépriser, nous autres qui n'avions ni ce « don », ni cette « vocation ». Pour ma part, je ne l'aimais pas, tout simplement. Ses manières m'agaçaient au plus haut degré. En m'asseyant en salle d'étude, un œil sur le sujet l'autre sur l'horloge, je me souviens pourtant – eu égard à son « talent » – m'être demandé ce que ferait Élodie à ma place. Mais je ne sus que répondre car elle, de toute façon, elle la possédait, cette « vocation ». Moi, je n'en avais aucune et lorsque l'on m'interrogeait sur mes envies de métier, je répondais invariablement que je ne savais pas.

Il fallait donc combattre sans armes, juste à mains nues, et espérer un cessez-le-feu assez rapide. Je pris une grande inspiration et découvris le sujet : il s'agissait d'imaginer une suite à un épisode des Misérables, lorsque Cosette arrive chez les Thénardier et fait la connaissance de leurs filles. Comment allait se passer la rencontre ? Qu'est-ce que j'en savais, moi ? Je ne connaissais pas l’œuvre et le nom de l'auteur m'évoquait seulement une rue. Puis je réfléchis et me dis que, foutu pour foutu, j'allais courir entre les lignes ennemies, sans peur de tomber car je savais la chute inéluctable et me mis à imaginer cette rencontre. Elle se passa... bien. Les deux enfants accueillirent la nouvelle et lui proposèrent de jouer avec elles. Aujourd'hui encore, une phrase, une seule, me reste de ce devoir écrit en trente minutes contre les deux heures habituelles : « Nous ne sommes ni méchantes ni avares et si tu veux jouer avec nous, nous en serions très heureuses. » Quelle enfant parle ainsi ? Aucune. Même au siècle de Hugo.

Puis vint le jour où le prof rendit les rédactions, par notes croissantes comme d'habitude. À la fin, il n'en restait que deux. Mon travail, dans ses mains, cohabitait avec celui d’Élodie. Dans son regard de future écrivaine sûre de son fait, je lus le défi lancé par le boxeur habitué aux victoires par K.O. Encore un challenger qui rêve de me prendre ma ceinture et que je vais allonger en deux secondes, semblait-elle dire. Moi, je le savais, si le prof avait retardé le moment de me rendre ma copie, ce n'était pas pour la glorifier mais bien pour la descendre en flèches. Il ne pouvait pas en être autrement. Je ne m'étais pas évertué à respecter des consignes que j'avais à peine lues, je n'avais rien développé, j'avais écrit d'un seul jet, j'avais figé les mots comme ils venaient et je ne m'étais pas relu. Et pourtant.

Nous eûmes, Elodie et moi, chacun 17 sur 20. Son sourire disparut. Match nul. Aucun vainqueur. Mes camarades me regardèrent comme un animal curieux. Celui qui m'avait donné le sujet trente minutes avant que je ne rende ce texte doit encore aujourd'hui avoir la bouche ouverte d'étonnement.

Cet événement me fit réfléchir. Que s'était-il passé en moi ce lundi-là ? Quelque chose, un phénomène, que je n'avais encore jamais soupçonné. J'avais comme écrit sous la dictée, comme si une voix, en moi, me disait ce que je devais mettre sur la feuille. Les mots me criaient, m'ordonnaient, de les faire passer et un policier invisible faisait la circulation.

 

Quelques jours plus tard, un samedi en début d'après-midi, je me mis à mon bureau et m'apprêtais à me résigner à faire mes devoirs. Mais je repensai à cette voix. Et si je l'écoutais à nouveau ? Qu'aurait-elle à me dire cette fois ? Je pris un petit cahier rouge et me laissai faire. Une histoire d'amour fatale jaillit. Le fils de l'enquêteur serait le meurtrier. Un crime passionnel. Un titre : Coupable d'aimer.

Lorsque je reposai le stylo, il faisait nuit et ma mère m'appelait pour dîner. Je n'en crus pas mes yeux. Je courus vérifier toutes les horloges de la maison. J'avais écris pendant cinq heures ! D'une traite. Et mon « œuvre » était achevée. Une œuvre née pour personne, d'aucune injonction scolaire, simplement dictée par cette voix intérieure qui, dès lors, prit ses quartiers en moi. Elle me fit enchaîner sur un poème. Le premier : A ma sœur. Moi le fils unique, je prenais ma douche, la chanson Mon frère passa à la radio et les premiers vers tombèrent sur ma tête comme l'eau du pommeau.

À toi la sœur que je n'aurai jamais

Seul le premier vers a survécu dans ma mémoire mais je ne désespère pas, un jour, de retrouver ce texte recopié dans un quelconque cahier de collégien.

 

Peu avant Noël, notre professeure principale nous proposa, pour le dernier cours avant les vacances prévu la semaine suivante, de présenter à la classe un art que nous pratiquions, de jouer d'un instrument, d'écrire... une petite pièce de théâtre. Encore aujourd'hui, je ne me l'explique pas autrement : je fus transformé en marionnette et ma main droite se leva d'elle-même. Avec une nouvelle et un poème à mon actif, il me fallait maintenant être un écrivain complet et écrire pour le théâtre.

Une semaine plus tard, après un week-end passé à écrire et une semaine à répéter avec quelques-uns de mes camarades, nous pouvions monter ma première pièce. L'histoire d'un type amoureux mais fauché qui doit inventer un mensonge pour ne pas payer la note du restaurant et fuir par la fenêtre des toilettes.

 

Voilà comment je suis né à 12 ans.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Très joli texte et souvenir…. L’école (et les cours de français!) aura été le point de départ de nombreuses vocations… soyons les passages et les passeurs…
Répondre

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents