Voici, enfin, le dernier conte écrit à l'occasion de ce festival.
Dans cette forêt vit un renard qui est très ami avec l'organisateur du festival...
Le renard qui avait apprivoisé un humain
Au début de notre siècle, cette forêt du Bois le Prêtre aux mille secrets fut le théâtre d'un événement sans précédent. Dans toute l'histoire humaine, nous ne trouvons en effet aucune autre mention d'une telle histoire. Rendez-vous compte : un renard a réussi à apprivoiser un humain.
Cet humain était semblable à des millions d'autres : un corps musclé, deux bras, deux jambes, et une tête dans laquelle se baladaient tranquillement des soucis par centaines.
Cet humain vivait en ville mais sa vraie maison se trouvait au cœur de cette forêt du Bois le Prêtre. Elle avait appartenu jadis, disait-on, à un ermite à qui la légende prêtait bien des mystères. Ce coin de forêt avait également eu ses heures sombres, lors de la Première Guerre Mondiale, et d'autres légendes avaient fait leur apparition.
Cet humain venait puiser dans cette forêt et dans cette maison l’énergie que procure le silence. Souvent, assis sur les marches, il fermait les yeux pour mieux écouter la nuit qui l'entourait. Elle venait poser son édredon sur les arbres et, avec un petit d'effort d'imagination, cet humain blotti dans cette maison forestière se représentait les chouettes, les vers de terre, ou encore les sangliers qui, il le savait, l'observaient en retour. Ces minutes de silence lui faisaient oublier les soucis qui défilaient dans sa tête comme un 14-Juillet.
Il allait ensuite se coucher, fenêtre ouverte, et il se laissait bercer par ces hululements, ces branchettes qui craquaient sous le poids de pattes inconnues ou encore par ce vent frais qui se glissait timidement entre les feuilles des arbres.
Le lendemain, comme s'il était rassasié après un bon repas, il repartait vers la ville et ses soucis.
Cela durait depuis quelques années et cet humain ne savait pas qu'un renard, dès sa vie de renardeau, l'avait repéré une nuit où sa tête penchée vers le sol semblait si lasse. Ce renard avait passé tellement de nuits à l'observer, allant parfois même se percher sur le rebord de sa fenêtre, qu'il lui semblait le connaître. Il pouvait deviner, simplement en observant de loin le front de l'humain, si la journée avait été plutôt bonne ou franchement mauvaise.
Le renard avait grandi, avait rencontré une jolie renarde qui lui avait donné trois adorables renardeaux mais il était toujours resté fidèle à cet humain qui ne savait même pas qu'il existait. Le renard n'en éprouvait aucune tristesse. Il se disait que les humains sont si étranges qu'il se pouvait que cette amitié reste éternellement à sens unique. Il observait régulièrement son humain préféré, écoutait ses plaintes qui parfois s'échappaient de sa bouche lorsqu'il dormait, et cela suffisait pour faire son bonheur.
Parfois, cette maison du Père Hilarion accueillait beaucoup d'humains, cela pouvait même durer longtemps. D'autres fois, il n'y avait personne pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Pendant ces périodes inhabituelles, le renard restait à l'écart et s'adonnait à d'autres passe-temps. Mais dès que son humain préféré réapparaissait ou se retrouvait seul, il ne manquait pas de l'observer.
Une nuit d'hiver, il se passa un événement tout à fait inattendu. Le renard s'était installé à sa place habituelle. Celle-ci, sur une branche solide et large, lui offrait une vue plongeante et parfaite sur l'ensemble de la maison. Pour se réchauffer, l'humain avait fait un feu dans la cheminée et il déambulait dans la maison, allant d'une pièce à l'autre. A travers les vitres, le renard le voyait aller et venir, l'air soucieux, comme souvent. Au bout d'un moment, l'humain éteignit les lumières et alla se coucher. Le renard, déçu, s'apprêtait à regagner son terrier quand une couleur curieuse attira son attention.
Des flammes ! Un incendie venait de se déclarer dans la pièce où se trouvait la cheminée ! Les rideaux blancs commençaient à être attaqués par le feu et une épaisse fumée noire faisait son apparition !
La pièce était juste en dessous de la chambre de l'humain qui risquait fort d'être pris au piège dans son sommeil.
Le renard se souvenait très bien de ces fumées si désagréables. Un matin, alors qu'il dormait paisiblement au fond de son terrier, elles l'avaient réveillé en sursaut. Il s'était enfui et il avait découvert à l'entrée de son habitation un humain habillé tout en vert et muni d'un fusil. Un chasseur ! Heureusement, il avait couru si vite qu'il avait réussi à lui échapper. Il conservait un souvenir terrifié de ces fumées.
Il n'hésita donc pas une seule seconde et courut jusqu'à la maison de son humain préféré. Il lui fallait rejoindre sa chambre le plus rapidement possible pour le prévenir et le faire sortir.
Le renard pénétra dans la maison en se faufilant par une fenêtre cassée de la cave qui lui servait souvent de point d'entrée quand il faisait trop froid dehors. Il gravit les quelques marches le séparant de l'espace de vie mais constata que la porte était fermée ! Il rebroussa chemin, sortit de la maison, et réfléchit une seconde. Il se souvint alors de cette fenêtre du rez-de-chaussée qui fermait mal et qu'une fois, par accident, il avait réussi à ouvrir. Il s'y rua et parvint à créer une ouverture en poussant de toutes ses forces. La fumée en s'échappant par la fenêtre lui brûla aussitôt les yeux mais il poursuivit sa mission et rejoignit l'escalier en courant.
Il gravit les marches et se retrouva devant la porte de la chambre de l'humain qu'il entendit respirer. La fumée le poursuivait dans les escaliers comme un prédateur lent mais sûr de sa victoire.
Le renard sauta sur le lit et vint lécher le visage de l'humain. Celui-ci grogna comme un ours mais finit par ouvrir des yeux terrifiés. Qu'est-ce qui se passe ? hurla-t-il. Le renard comprit qu'il avait réussi sa mission et quitta rapidement la chambre par le même chemin. Ses poumons le firent atrocement souffrir mais il oublia la douleur lorsqu'il vit son humain se saisir d'une grosse boîte rouge qui cracha aussitôt un liquide sur les flammes. Celles-ci diminuèrent jusqu'à disparaître et l'humain sortit sur le perron pour tousser en se tenant les genoux. Il scruta ensuite les alentours, comme s'il était à la recherche de son sauveur.
- Merci ! finit-il par crier dans le silence de la nuit. Qui que tu sois, merci !
Les jours qui suivirent, le renard ne put guère quitter son terrier. Les fumées qu'il avait inhalées lui brûlaient tellement les poumons que chaque pas sur la terre ferme occasionnait une souffrance intolérable. Sa renarde et ses renardeaux le soignaient de leur mieux mais il ne voulut pas leur expliquer ce qui lui était arrivé. Il pensait qu'ils ne comprendraient pas son amitié pour un humain, ni qu'il ait mis sa vie en jeu pour sauver la sienne.
Allongé dans son terrier, il pensait du reste souvent à son humain et espérait qu'il allait bien. Il espérait aussi que sa maison n'ait pas trop souffert.
Au bout de quelques jours, le renard pointa le bout de son museau à l'entrée de son terrier. Il faisait beau. Le sol avait blanchi, la neige était tombée. Il lui serait plus difficile de ramener de la nourriture à sa petite famille mais il savait que, comme chaque hiver, il y parviendrait et qu'ils atteindraient tous le printemps sans encombre.
Il marcha dans la neige fraîche perdu dans ses pensées. Il n'osait pas se rapprocher de la maison de son humain préféré. Il lui semblait que cette amitié avait comme perdu de sa saveur. Il était heureux d'avoir sauvé la vie de l'humain mais triste que tout ait changé. Qu'allait faire cet humain ? Il avait dû remarquer que son sauveur était un renard. Allait-il le chercher ? Et puis ? Après ? Peut-être ne voudrait-il pas être son ami ? Il se contenterait de le remercier et de reprendre sa vie. Et le renard serait seul. Il regretterait cette époque où il avait pu observer son humain et lui apporter le soutien qu'il semblait demander à la forêt.
Pris dans ses réflexions, il ne remarqua même pas les traces de pas humains qui parfois avaient été formés çà et là dans la forêt. Malheureusement, celui qui les avait faites était celui qui avait l'habitude de s'habiller en vert et qui, une fois déjà, avait voulu l'attraper en enfumant son terrier.
Alors que le renard levait la tête en marchant pour regarder une mésange quitter son nid, il ressentit une douleur atroce à la patte droite. Il hurla et, en tombant, il comprit qu'il était tombé dans un piège. Sa patte retenue prisonnière saignait. Rapidement, la neige alentour se couvrit d'une tache épaisse.
De douleur, le renard s'évanouit. Il ne sut combien de temps dura son évanouissement mais la nuit était sur le point de tomber lorsqu'il se réveilla. Ses sens toujours en alerte lui apprirent que des pas humains se dirigeaient vers lui. Le chasseur ! Ça ne pouvait qu'être le chasseur qui venait relever ses pièges !
Le renard essaya de se redresser mais ce fut en pure perte. Le piège ressemblait à la mâchoire féroce d'un sanglier. Il se laissa retomber et ferma les yeux.
Il entendit un humain énorme s'agenouiller à côté de lui. Immédiatement, l'humain desserra un peu la mâchoire de métal qui retenait prisonnière la patte du renard mais ne l'ouvrit pas totalement. Le renard put bouger un peu sa patte et cela lui fit énormément de bien. Elle n'était pas cassée !
Mais cette joie ne fut rien par rapport à celle qui suivit. Il sentit en effet le souffle chaud de l'humain sur son visage et, bientôt, les lèvres de l'humain se posèrent sur le museau du renard. Depuis quand un chasseur embrassait-il ses victimes ? se demanda le renard.
- Merci, petit renard, merci de m'avoir sauvé la vie, entendit-il.
Le renard rouvrit les yeux et reconnut immédiatement son humain. Celui-ci finit de libérer la patte blessée et fut heureux de constater que le renard n'avait aucune intention de se sauver. Il le prit dans ses bras et le ramena dans sa maison pour le soigner.
Depuis, une nouvelle légende parcourt la forêt du Père Hilarion : un renard aurait apprivoisé un humain.