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L'univers de Sébastien Bonmarchand !

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Chapitre 1 de "Arentel et Ménéhoud, anges en exil"

Publié par Sébastien Bonmarchand sur 28 Août 2018, 13:43pm

Catégories : #Arentel et Ménéhould

Men in Black

Première partie

 

Chapitre 1

 

C’était un soir de septembre 1983.

Au Ciel, on ne fait jamais d’échographie – à quoi bon, il n’y a jamais eu de complications.

Personne ne savait qu'une livraison de jumeaux était à l'ordre du jour. Ceux-ci, du reste, avaient passé l’essentiel de leur voyage utérin à dormir, discrètement blottis l’un contre l’autre, et n'avaient émis aucun signal particulier qui aurait mis la puce à l'oreille du Chef – auquel cas, tout ce qui suit, j'aurais été condamné à l'imaginer. Des anges, de parfaits petits anges, mais c’est ce qu’ils étaient, dans le fond.

On ignore encore aujourd’hui qui est le père. Un petit plaisantin aux mains baladeuses sans doute. Mais peu importe ; il a fait son travail, qu’il en soit ici vivement remercié.

Son travail, justement, parlons-en.

A tout seigneur tout honneur, commençons par la conception. Généralement, elle se fait lors de moments « détente » organisés par le Conseil d'Administration Divin, le célèbre CAD dont nous reparlerons. L'objectif est d'entretenir la cohésion de l'équipe – comme sur Terre, en fait, si l'on y réfléchit. Lors de ces soirées arrosées d’ambroisie pour les plus anciens, d'hypocras pour les âges médians et de Seven Up pour les plus jeunes, quelques anges ressortent alourdis d'une poignée de molécules nouvelles. Tous les anges, hermaphrodites de nature, sont fécondables. Sur Terre, on perd notre temps en parades savantes avant de coïter entre deux portes et de plier bagages en se posant mille questions ; au Ciel, c'est plus comme un jeu, la marelle locale si vous voulez. On repère sa proie, on lui sourit, elle sourit en retour derrière les bulles de son verre en cristal, puis, à la vitesse de l’éclair, on appose une main sur son petit ventre blanc et c'est parti pour la nouvelle génération d’anges.

Puis vient le temps de la gestation. Quelques semaines pendant lesquelles les « mamans » sont choyées par des blouses qui passent et repassent dans de vastes pièces éclairées de pourpre, d’orangé ou de mauve. Leurs narines, quasi transparentes, sont traversées par des effluves de safran, de rose ou de jasmin. Sans cesse allongées, elles écoutent en boucle quelques vieux tubes d'Orphée joués à la lyre sèche, des madrigaux de Carlo Gesualdo, des musiques de chambre de Brahms, des concertos de Rachmaninov ou encore, mais c'est plus rare, des chansonnettes grivoises tirées du répertoire des bordels pragois.

Et l’heure H venue, on les conduit discrètement, par convoi spécial, à la Maternité de Saint-Cloud, donc.

 

Ce choix de Saint-Cloud a été acté en haut-lieu. Le domaine national y est pour beaucoup. Officiellement. On aime encore bien aller se promener au milieu de la célèbre roseraie avant de remonter au Ciel – les roses, c'est comme un trait d'union entre le Ciel et la Terre, à en croire quelques anges interrogés à ce sujet.

Mais officieusement – et j'ai pu le constater – la raison de ce choix est tout autre. La capitale française, en effet, ne manque pas de la matière première nécessaire à ces accouchements. Du moins, jusqu'à Arentel et Ménéhould.

Il faut, c'est avéré, faire inhaler au nouveau-né angélique des vapeurs de LSD. Oui, oui. Et ce dès sa première inspiration. Attention, après avoir lu cette révélation liminaire, ne prenez pas votre femme au mot quand elle vous dira, peu après la naissance de votre premier enfant, surtout si elle vous traîne jusqu'à Saint-Cloud, qu'on dirait un ange. Non, non, faut pas déconner. D'habitude, ce n'est qu'une expression. Là, dans notre histoire, non, c'est un fait.

Bref, c'est dit.

L'objectif de cette inhalation est de modifier la sensation de pesanteur, certes, mais surtout d'éviter que l'angelot ne perde sa divinité et devienne humain – du moins dans la théorie issue des pages secrètes du Cahier des Charges du Ciel que j'ai pu consulter. Étant donné que ce lourd opus ne précise pas comment produire le nécessaire breuvage, après bien des tentatives infructueuses, le CAD, avec le Chef à sa tête, s'est résolu à externaliser la production – toujours besoin de délocalisations, avaient pesté les plus grincheux. Les meilleures sociétés spécialisées dans ce négoce étant situées à Paris, le choix de Saint-Cloud s'est rapidement imposé. Certaines langues vipérines m'ont même confié que le Chef aurait préféré cette collaboration par manque de confiance en ses propres troupes au Ciel.

On convoque donc quelques pourvoyeurs parisiens – appartenant à des réseaux qu’on fidélise en promettant une place à la droite du Chef, vous savez – et l'on repart aussitôt, en se dématérialisant, tout simplement. L’affaire ne dure pas même deux secondes, à peine le temps de poster deux lettres si vous voulez, et se déroule sans complication vitale car les anges sont immortels et ne ressentent pas la douleur, comme chacun sait.

Cela faisait quelques générations que cela durait, sans un hiatus. Les médecins accoucheurs ne conservaient aucune mémoire de ces faits, on s'arrangeait pour réinitialiser tout cela et l'on espérait ne pas trop altérer leurs cellules. Il n'y a jamais eu d'études réellement sérieuses, au Ciel, sur ces mémoires effacées mais il m'a été répondu : « Les œufs, les omelettes, enfin vous connaissez la chanson, hein. » Soit dit entre nous, j'ignore comment les scénaristes de Men in Black ont eu vent de cet effacement des mémoires. Il y a peut-être eu des précédents à Arentel et Ménéhould, allez savoir. Je serais curieux de les interroger. Si vous les connaissez, je suis dans l'annuaire.

Dans tous les cas, on préférait ne pas toucher au disque dur des pourvoyeurs, qui, fissa, quittaient les lieux argent en poche. Leurs neurones n'étant pas spécialement épargnés par les effets d’autres actions tirées de leurs différents portefeuilles, ils n'auraient pas été crédibles s’ils avaient eu l'idée saugrenue de témoigner du deal ; bref, c'était d’un grand professionnalisme tout ça.

 

Hélas – ou heureusement, c'est vous qui déciderez – ce jour-là, le jour où les anges en charge du dossier accouchement parvinrent à la Maternité, tout, dès le début, alla de travers : grève des urgentistes, plus de bière au frais dans le distributeur, mais, surtout, retard très préoccupant des habituels pourvoyeurs, retenus, pensa-t-on un instant, dans les locaux des stups, mais non, renseignements pris en se téléportant en deux temps trois mouvements, se ravitaillant, à ce moment précis bordel !, aux Pays-Bas. On dut donc, en catastrophe, héler un taxi et chercher un nouvel associé. Se téléporter une nouvelle fois eût été envisageable si l'on avait connu une seule autre adresse. Mais non. Il fallut donc s'en remettre à la sagesse humaine.

Ce jour-là, l'humanité fut représentée par un chauffeur de taxi qui ne fit cas de ces clients visiblement sous acides – encore des travelos déguisés en anges, qu’est-ce que c’est que ces conneries, mais bon, se dit-il lorsqu'ils lui demandèrent de les conduire au premier squat venu – et l’on reprit, une fois le deal effectué, la direction de la Maternité, pied au plancher, car, visiblement, ça n’allait plus tarder. Lorsque la chanson Deux Ailes et Trois Plumes passa à la radio, les anges se regardèrent et par télépathie considérèrent que ces paroles-là pourraient être leur hymne à eux, là-haut, au Ciel.

On ne put, hélas !, payer le chauffeur, car le pécule réglementaire alloué généreusement par le CAD avait semblé suffire au jeune tatoué qui avait servi ces clients providentiels, et l’on se contenta de quitter précipitamment l’habitacle enfumé sans tenir compte des cris enragés du bonhomme au volant. Inutile de nous répandre ici sur l'état d'esprit dudit représentant de l'espèce humaine, nous aurons à y revenir.

Une fois dans le hall, un gréviste fut réquisitionné – le sachant croyant, on lui dit qu’on passerait l’éponge, là-haut, sur sa vie adultérine s’il daignait ôter ce ridicule bandeau et suivre la « maman » en salle de travail. Il acquiesça, sous les huées de ses confrères assis à même le sol comme une portée de louveteaux affamés, et fut suivi par deux sages-femmes résignées.

Pour mieux comprendre, du reste, la naissance hautement improbable d’Arentel et de Ménéhould, ainsi que leurs destinées supérieurement étonnantes, arrêtons-nous sur l’une d’entre elles : Thérèse Bouton.

Madame Bouton est âgée, à cette époque, de trente-sept ans. Petit bout de femme d’un mètre cinquante-neuf, yeux bruns et chevelure rousse, quelque peu ronde, Thérèse se parfume de lavande, se tartine le visage de crèmes à la con, et se fait manucurer et pédicurer une fois par mois – ça passe le temps. Elle vit dans un village où l’on s’ennuie sec, à soixante-dix bornes de la capitale. Tous les matins, comme des milliers de banlieusards sous antidépresseurs, elle doit supporter le toussotement épineux d’un train zébré de tags plus ou moins réussis qui la conduit jusqu’à cette clinique et qui l'en éloigne le soir venu. Très bien notée par sa hiérarchie depuis douze ans qu’elle travaille ici, appréciée de ses collègues, Madame Bouton mène une vie professionnelle stable et heureuse. Elle est mariée depuis cinq ans à un garde forestier qui, semble-t-il, aimerait plus sa forêt que sa femme. Comme elle est fidèle, la malheureuse, et lui stérile, le pauvre, ils n’auront pas d’enfants. Toutefois, sa vie de couple n’est pas triste, pas joyeuse non plus, n’exagérons rien, mais sa vie de couple est, et c’est là l’essentiel. Sa vie sexuelle, elle, demeure stable, parfois trop, sans facétie particulière, sans holà déboussolant, mais elle semble s’en accommoder. Elle fait avec. Peut-être prendra-t-elle un amant d’ici quelques années, nous verrons. Quant à l’idée de n’être jamais mère, elle s’en accommode également, se disant qu’elle aide, chaque jour, d’autres femmes à le devenir.

Bref. La vie de Thérèse Bouton est d'une banalité terrifiante.

Lorsque, ce jour-là, elle suit en salle de travail ces personnes habillées en blanc de la tête aux pieds, avec des voiles transparents tombant sur les épaules et une peau diaphane, très grands et très maigres, elle se dit, c’est un fait avéré, qu’ils sont laids et ridicules. Encore une secte, songe-t-elle. Et regarde comme ils sont jeunes, mais où va-t-on, quelle éducation donne-t-on, et si ce n’est pas honteux, ça, une telle démission de la famille, franchement. Et moi qui n’ai même pas d’enfant, c’est mal foutu tout ça.

Elle ignorait, Thérèse, que tous les anges ne dépassent jamais l’âge béni de dix-huit ans. Leur naissance eût-elle remonté à une époque où la grand-mère de ma grand-mère ne suçait pas encore son pouce qu’ils n’eussent pas vieilli d’un seul putain de iota. Ça, madame, c’est honteux. C’est l'un des nombreux avantages liés à la fonction, que voulez-vous.

Pourquoi donc ? J'ai enquêté, interrogé, lu. Officiellement, en haut lieu, on part du principe que c’est à cet âge-là que l’esprit renonce à ses rêves d’enfant pour devenir adulte, et ce de façon irréversible. Or, on le comprend, un ange eu égard à son statut, ne saurait sombrer dans un tel gouffre : renommer ses rêves projets, ses voyages vacances ou ses jeux loisirs, tout cela est inconciliable avec la fonction angélique, voyons.

Officieusement, il se murmure que dix-huit ans, c'est surtout l'âge limite avant l'autonomie, l'ultime marche sur laquelle poser nos pieds soumis. Or, le Chef, ça, l'autonomie, il n'est pas très pour. Il n'aime pas beaucoup la solitude, le Chef, à ce que j'ai compris.

Au delà de ces considérations, il ne faut pas oublier que les humains, lorsqu'ils sont à bout de solutions dans leur vie merdique, en sont souvent réduits à en appeler à leur ange gardien. Étrangement, ils ne parviennent pas à l'imaginer plus vieux. Le Ciel s'est peut-être simplement adapté.

Bref. Nous avons un double accouchement sous le coude, dépêchons.

Le médecin accoucheur, lui, se fichant pas mal de ces considérations, demande à la maman, un étonnant regard aquilin et un splendide visage asexué, si elle dispose des images de l’échographie ; mais non, voyons. Un brin fâché, il fait glisser ses doigts professionnels sur ce ventre d’une souplesse déconcertante et constate : « Vous attendez deux enfants. »

Les deux anges accompagnateurs se regardent, médusés, et se demandent s’ils auront assez de produits. Il faudra faire avec. Ce cas de figure est unique, on ne se souvient pas en avoir entendu parler en formation, mais l’on sait qu’il ne faut pas dépasser un laps de temps très court, une minute tout au plus, entre la venue au monde et l’inhalation de LSD. Il faudra attendre l'apparition du deuxième ange pour procéder à l'opération, car le médecin accoucheur n’approuvera sans doute pas une telle attitude et tout capotera. Nous verrons, nous verrons, mais l’angoisse peut se lire sur le visage blême des deux anges. Ils n’en mènent pas large, à vrai dire, comme le constate Thérèse. Ils jouent avec les franges de leur chemise, comme deux gamins pris en faute.

Le médecin ajoute qu’il faudra sans doute procéder à une péridurale. A cet instant, la maman et ses deux accompagnateurs se mettent à rire, bruyamment, et l’on en reste là. La douleur, voyons. Des barjots, pense le médecin, mais bon, ils verront bien. Et il n'a pas vu tout ce que j'ai vu.

Puis, très vite, le premier ange apparaît. Sur sa cheville droite, l’accoucheur distingue nettement une écriture appliquée. On a écrit « Ménéhould ». Il n’en croit pas ses yeux, mais doit aussitôt faire face au deuxième enfant. La mère, elle, sifflote, imperturbable. Thérèse et sa consœur se demandent si elles sont en train de rêver et le médecin, lui, est trop occupé à sa tâche pour réagir.

 

Arrêtons-nous un instant sur cette signature, si vous le voulez bien. C’est une question d’art et d’esprit pratique, ce dont au Ciel on ne manque pas.

Commençons par le commencement ; ne vous inquiétez pas, j'ai un œil en salle d'accouchement.

Voyez-vous, s’il est une règle d’or pour un ange, c’est de ne jamais regarder vers le bas, mais toujours vers le haut, dans la direction du Chef, qui, de tout là-haut, gère les affaires courantes avec un flegme olympien, voire un rienabranlisme offensant. Il est généralement assis à son bureau, interrogeant la presse internationale d’un air dubitatif, avec pour seul compagnon un mikado de fiches Bristol sur lesquelles il prend parfois des notes d'une écriture ou appliquée ou résignée. Un timide écran observe ce petit manège en crépitant des actualités ou des séries mais sans grand audimat.

Or, comme les voies aériennes sont saturées et qu'on avance auréole contre ailes, les anges qui doivent les emprunter pour rejoindre leurs bureaux passent leur temps à parler avec ceux qui sont au-dessus d'eux. Dispensés de torticolis pour l’Éternité, ils savourent cet avantage à outrance et parlent, parlent, se disent et se contredisent dans le même élan, comme des commères lors de leur tournée des grands Ducs. Seulement, comme chaque ange doit tenir deux conversations en même temps, c’est rapidement devenu un bordel sans nom ! Or, on a pour principe de base de ne pas revenir sur les acquis sociaux, que voulez-vous.

Face à ce tohu-bohu de mots, d'interpellations et de discussions stériles, le Chef dut donc se pencher sérieusement sur le problème. Ainsi, il fut stupéfait de constater que vingt-cinq pour cent des flux verbaux consistaient simplement à découvrir l’identité de l’ange qui était au-dessus de soi. Les anges s’apostrophaient jusqu’ici au petit bonheur la chance, pariant sur telle ou telle identité, selon le dessin de la cheville, et ça énervait tout le monde. En effet, pour l’apostrophe, comme sur Terre, encore faut-il disposer d’un patronyme, n’est-ce pas, sinon cela devient rapidement une cacophonie intolérable pour qui aspire à rejoindre son bureau dans les meilleures conditions, loin des interpellations sauvages et autres chienlits sonores.

Un beau matin, le Chef signa donc une ordonnance. La circulaire interne indiquait qu’il devenait urgent de réguler ces échanges incessants et, si possible, les atténuer.

Le décret, en catimini, donnait carte blanche à un artiste préhistorique, nostalgique de ses tâches rupestres. Tous les anges devaient passer entre ses doigts experts afin qu’il peigne le prénom de chacun sur la cheville droite. Pour œuvrer sur le corps des nouveau-nés avant leur naissance, il dut se former pour travailler sur PAO, ce qui ne lui déplut pas – en privé, il regretta même du bout des lèvres de ne pas avoir été créé à la bonne époque. Le Chef, lui, ne valida pas ce recours aux nouvelles technologies, mais le CAD argua qu'il serait ainsi beaucoup plus aisé pour les instructeurs futurs d'identifier les anges durant leur formation – ah, l'éducation, avait soupiré le Chef avant de donner son accord, j'oublie toujours que c'est important.

Voilà, je parle, je parle, je fais mon petit savant, et du coup, vous avez manqué la naissance du second enfant, Arentel ! Ce n'est pas professionnel, je suis désolé. Et en plus les gendarmes sont déjà là ! Rembobinons de quelques secondes.

Arentel retrouva donc sa sœur seulement dix secondes plus tard. Durée extrêmement importante, mais n'anticipons pas. Lorsque les deux anges qui n'attendaient que ça sortirent briquet et marchandise pour réaliser cette opération maintes fois réalisée, des représentants de la Loi humaine (alertés par le chauffeur de taxi qui supportait mal les courses impayées, suivez, un peu) firent leur apparition, dans leur dos arme au poing – c’était évidemment beaucoup trop, mais il s’agissait de deux jeunes recrues qui avaient senti, vous savez, cette poussée de stress qui fait faire tant de conneries. Bref, instinctivement, Thérèse Bouton, voulant protéger les nouveau-nés, plaqua ses deux mains sur leurs corps tout tremblotants encore, tandis que les trois anges disparaissaient dans une épaisse fumée blanche. Ils pensaient avoir agi suffisamment rapidement pour entraîner Arentel et Ménéhould dans leur sillon, mais ils n’aperçurent que trop tard cet épiderme humain les touchant. Ils savaient qu’il leur faudrait revenir car le bébé ange ne dispose pas des ressources nécessaires pour se dématérialiser seul et rejoindre ses pairs. Il lui faut le soutien d’un aîné, et, si une peau humaine interfère, cela est impossible. C’est comme ça, c’est constitutionnel.

Dans tous les cas, il s'agissait une grande première : deux anges venaient de naître sans l'assistance d’aucune substance. Le Cahier des Charges ne mentionne pas ce cas de figure. Que pouvait-il se passer ? Les trois anges commencèrent à tremper leurs ailes tant ils avaient peur. Ils empruntèrent de nombreux détours avant de rejoindre le Ciel.

En attendant, dans la salle d’accouchement, les armes furent baissées et l’on plaça en couveuse les deux angelots.

Si l’absence de LSD les condamnait à une stricte humanité ou, bien plus novateur, ne changeait en rien leur statut, aucun indice ne permettait de se prononcer. Il faudrait les voir grandir.

Leur apparence physique ne permettait, du reste, guère de se prononcer, car, par mesure de sécurité (on ne sait jamais ce qui peut se passer lors d’un accouchement et les événements d’aujourd’hui donnent raison au père de ce dogme), on ne distribue aux anges leur auréole et leurs ailes (pour mieux leur reprendre leur sexe) qu’une fois qu'ils sont arrivés au Ciel. De ce fait, aucune des caractéristiques angéliques qu'un humain lambda comme ceux présents ce jour-là à la Maternité aurait imaginé n’était présente chez eux : Arentel et Ménéhould possédaient chacun un sexe tout ce qu’il y a de plus classique, quoique de facture extrêmement contemporaine si l’on considère une tendance certaine à l’exhibition dès la couveuse pour le garçon.

A Saint-Cloud, ils passèrent pour des jumeaux standards, hormis cette coquetterie de posséder leur prénom – imaginait-on à juste titre – tatoué sur une cheville et cette étrange affaire que d’avoir vu disparaître en fumée, pour le coup ce n’est pas qu’une expression, leur mère et ses deux accompagnateurs. Mais bon, la gendarmerie enquête. Ils étaient deux princes abandonnés, ignorant tout de la sublimité de leur sang et de la déférence qu’on leur devait.

Thérèse les veilla jour et nuit. Elle s’était confectionnée un nid à côté des deux couveuses et les observait plus qu’elle ne dormait. Elle tuerait pour pouvoir les adopter, ces deux petits monstres. C’est vrai quoi, pour l’instant, ils n’étaient à personne.

De longues semaines défilèrent et, nul ne se manifestant malgré les recherches entreprises par différents services, ils furent enfin à elle et à son mari ; mari qui resta, dès lors, plus souvent à la maison et qui reprit goût à la vie avec Madame. Comme si, libéré du poids de ne pouvoir lui-même offrir à sa femme ce qu'ils désiraient tant, ce con voyait subitement flotter dans les airs de petites particules de bonheur qui l'invitaient à arrêter de faire la gueule.

Si, donc, pour une fois sur Terre on s’amusait, au Ciel en revanche on se tourmentait.

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